Une vision du recrutement, par Johannès Brunet

L’envie d’apporter plus de sens à ma profession m’a dirigé vers les balbutiements de l’apparition du recrutement, ses prémices. Toute naissance d’une profession prend sa source dans l’émergence d’un nouveau besoin, celui d’un individu ou d’un groupe.

Dès lors, quelques recherches m’ont permis d’aboutir à un constat interessant, le recrutement est intimement lié à un besoin ineffable, éprouvé par les plus anciennes sociétés humaines: le besoin de conquête. Aussi, je retiendrai les premières évocations du mot « recrutement » dans des

récits épiques, historiques et même comptables, dès l’ors qu’il s’agissait de lever des armées (intégrer des Re-crues, faire croître), conquérir des territoires (ou des parts de marché…), face à des ennemis déterminés à en découdre (la concurrence…).Vous me direz que ces recrues n’étaient pas forcément volontaires, soit, et que nous sommes bien loin de notre recrutement tel que nous le connaissons aujourd’hui. Il s’agissait effectivement, pour être recruté, d’être un homme valide, point. Du bon vieux recrutement basique.  Mais en se penchant sur le sujet et en observant avec attention, nous constatons que le « process RH » mis en place … Il y a de ça plusieurs millénaires (6000 ans pour les plus curieux) , était le suivant:

Une campagne d’enrôlement « forcé » ou non / Une formation de base / Une rémunération (pas toujours) / Des sanctions négatives, disciplinaires en cas de non respect des règles / Des sanctions positives, des perspectives d’évolution en responsabilité pour les plus aptes à la technique ou au commandement.

De mon point de vue, cela ressemble étrangement, dans ses grandes lignes, à ce qui existe encore aujourd’hui! Les premières vagues de « Drh des temps modernes » étaient d’ailleurs souvent constituées d’anciens officiers militaires re-convertis dans le civil pour leur dite aptitude à la bonne « gestion des troupes, du personnel » (sujet développé dans l’article sur la Reconversion).

Les choses ont tout de même changé me direz-vous? Passons la loupe sur ce constat.Ne parle-t-on pas aujourd’hui encore de guerre économique, de campagnes de recrutement, de guerre des talents, de comportements mercenaires, de « chasse » de têtes? La terminologie ne ment pas. Recruter, pour une entreprise c’est avant tout s’armer du talent des recrues, qu’il faut aujourd’hui plus que jamais con-vaincre (vaincre avec) afin qu’elles avancent fièrement à nos côtés.

Je ne vous cache pas que ce n’est pas sans une pointe d’amusement que j’imagine mes illustres « ancêtres-confrères », glaive au côté et casque corinthien, lance affutée et turban jaune safran, chevauchant à toute berzingue, exercer le métier qui occupe mes journées.Mon costume, mon stylo, ma connexion haut débit, ma clio pack-clim en province, mon biclou à Paris, manquent cruellement de panache… mais c’est l’uniforme à la mode en 2019, que voulez-vous.

Notre héritage du recrutement est intrinsèquement violent, c’est sélectionner un individu parmi mille autres, c’est proposer un vecteur d’intégration sociale à un individu plutôt qu’à mille autre, c’est inciter à s’engager et porter au plus haut les couleurs d’une bannière (ou d’une marque…).

Aussi la concurrence des camps qui se font face se déverse mécaniquement sur les individus, toutes les recrues potentielles, qui entrent de fait, elles aussi, en concurrence lorsqu’elles postulent à un emploi. Les postulants, armés jusqu’aux dents, de leurs diplômes, leurs expériences et leur savoir-être, livrent aussi bataille sur le marché du travail.

Je vois indéniablement dans cette double lecture une forme de violence, à la fois inhérente au Recruteur et au Recruté, qu’il faut appréhender avec lucidité afin de comprendre les mécanismes du recrutement.  Et (peut-être?) est il important pour les acteurs du recrutement d’avoir conscience de cet héritage belliqueux, et surtout, de l’assumer sans complexe. Pourquoi me direz-vous? Car pour être acteur du changement et de l’évolution des pratiques du secteur du recrutement, il est indispensable d’être conscient de ces enjeux particuliers si l’on souhaite exercer ce métier avec une bienveillance justifiée, afin de sensibiliser nos candidats et clients sur un point essentiel: « dehors, ça ferraille sans pitié ».

Chasse de têtes, cabinet spécialisé, intérim, généraliste, approche directe, recrutement au succès, mission de transition, dépôt d’une annonce, passage par l’Apec, cellule de talent acquisition, parrainage, plateformes gratuites ou non, réseaux de professionnels d’un secteur, délocalisation…  Que l’on recherche le cabinet idéal pour ses recrutements ou que l’on soit un candidat en recherche d’un nouvel emploi, il n’est pas aisé de s’y retrouver sans quelques notions de base sur le fonctionnement du marché du travail actuel.

Car le recrutement, «fruit du besoin de se développer et du talent des femmes et des hommes», ne plie pas aisément face aux assauts de l’uniformisation de ses pratiques et se résigne fièrement encore à être l’électron des Ressources Humaines le plus «Libre». Affranchi d’un cadre clairement défini, oublié d’un contrôle régulier des pratiques existantes, exempt de «droit à l’entrée » afin d’exercer le métier, vous pouvez, qui que vous soyez, dès demain, accrocher votre plaque de Recruteur, si le coeur vous en dit.

Cette liberté, qui laisse libre cours à l’imagination des recruteurs dès lors qu’il est question de s’adapter aux mutations du fonctionnement des sociétés, 

aux changements technologiques et aux demandes atypiques des structures qui souhaitent innover dans leurs process, est une chance. Or le revers de la médaille est le risque de constater l’émergence de pratiques borderlines, de «passagers clandestins», d’attitudes perçues comme irrespectueuses et discriminatoires… Ces comportements déviants ternissent la réputation de notre métier. Une grogne se manifeste à chaque «extrémité du recrutement». D’une part, les sociétés tendent à se méfier des acteurs du recrutement ; candidatures envoyées à côté de la plaque, « ils n’ont pas daigné s’entretenir avec le candidat avant de nous le recommander, ils n’ont pas saisi notre besoin »… D’autre part, la confiance des candidats envers les recruteurs s’amenuise; « de toute façon ils ne rappellent jamais, l’opportunité proposée n’a rien à voir avec ce que m’a décrit le recruteur »…Aujourd’hui, la pression diffuse n’est que trop faiblement exercée par le marché ou une institution quelconque afin de pouvoir favorablement impliquer une évolution des comportements vers des pratiques plus éthiques.

Désormais le tableau noirci, permettez moi tout de même de dissiper quelques nuages et vous rassurer sur le fait que de nombreux consœurs et confrères ont bien intégré que les enjeux du respect des candidats et de la montée en gamme de nos services sont indissociables d’un développement pérenne, ouf, « il y a du pied dans la chaussette ». 
Néanmoins c’est insuffisant, car le risque de dérives inhérent au contexte ainsi que les éclats regrettables laissés par quelques acteurs moins scrupuleux subsistent. Comment faire grandir la profession?
Permettez-moi de me risquer à un petit exercice de projection, une vision du recrutement, un plaidoyer (?), une idée, probablement ambitieuse me direz vous.

Désormais le tableau noirci, permettez moi tout de même de dissiper quelques nuages et vous rassurer sur le fait que de nombreux consœurs et confrères ont bien intégré que les enjeux du respect des candidats et de la montée en gamme de nos services sont indissociables

d’un développement pérenne, ouf, « il y a du pied dans la chaussette ».Néanmoins c’est insuffisant, car le risque de dérives inhérent au contexte ainsi que les éclats regrettables laissés par quelques acteurs moins scrupuleux subsistent. Comment faire grandir la profession?

Permettez-moi de me risquer à un petit exercice de projection, une vision du recrutement, un plaidoyer (?), une idée, probablement ambitieuse me direz vous. « Nos bien-aimés experts-comptables prêtent serment auprès du Ministère des finances sous le regard attentif de leur Ordre, nos chers commissaires aux comptes prêtent serment auprès du Ministère de la justice sous le regard bienveillant de leur Compagnie, nos collègues avocats et médecins, eux aussi prêtent serment. Ces institutions garantissent l’indépendance de leurs membres, et leur permettent une homogénéisation réfléchie de leurs méthodes couplée à une implication engageante , solennelle et éthique. Et ce via un modèle auto-géré par ses membres élus issus du métier. Une société en création dans la profession concernée se doit d’obtenir l’accord de l’instance à des fins d’exercice légal. (Sous réserve de critères pré-déterminés, de suivi de formations obligatoires pertinentes qui assureront la constance dans la qualité des services proposés).

 C’est un modèle de cette inspiration que j’envisage pour l’ascension de ma profession, son épanouissement. 

Un «Ordre des Recruteurs» qui prêterait serment auprès du Ministère de l’emploi et du travail, sous l’égide de mes consoeurs et confrères élus, afin d’engager des actions et réflexions de fond dans le but d’optimiser la qualité de nos méthodes, de sensibiliser sur des sujets tels que la discrimination à l’embauche, le traitement des données (le respect des candidats). Oui, un Orde prévu à des fins de garantie d’indépendance de ses membres, qui oeuvrerait à termes au renforcement de la confiance et de la transparence auprès des acteurs concernés (candidats et clients). J’espère sincèrement avoir le loisir d’étayer mon propos dans sa globalité pour les personnes les plus intéressées, concernées, ou décideurs sur ce sujet.

Les professions du recrutement attirent d’autant plus l’attention qu’elles sont à la croisée de thèmes actuels brûlants tels que le chômage et l’emploi (en manque cruel d’indicateurs pertinents), la discrimination, l’équité salariale et son halo des genres.Ces métiers d’intermédiaires méritent, selon moi, une attention particulière afin qu’ils accèdent à un statut de garants des meilleures pratiques.

 Plus haut, j’évoquai le recrutement comme étant la réponse à un besoin, celui de conquérir. Il est aussi indispensable de considérer aujourd’hui le recrutement dans sa définition plus académique comme étant né d’une faille (béante?) du fonctionnement sous optimal du marché du travail. Un dysfonctionnement observable à l’instant de la rencontre entre l’offre d’emploi et la demande d’emploi.

 Les offres d’emploi existent, les demandeurs d’emploi existent mais ils ont des difficultés à se retrouver. Les métiers du recrutement s’immiscent dans cet interstice et ont fonction de liant entre l’offre et la demande. Je concède que c’est une définition moins attrayante que celle de notre penchant culturel pour la conquête, cela dit, elle mérite d’être évoquée. 
Aussi, pour être tout à fait honnête, tandis que je déplie mon ordinateur chaque matin, je choisis d’être, pour quelques heures grisantes, ce soldat en pointe, scrutant l’horizon, dévoué à mes clients et candidats; plutôt qu’un liant offre-demande, à l’étroit au fond d’une faille inconfortable du marché…